Tout d'abord initiée en 1995 dans le cadre d'un programme sur le suivi de la restauration des voies de migration de l'anguille pour apprécier les effets du rétablissement de la migrarion sur la dynamique de population, cette étude s'inscrit aujourd'hui dans un cadre plus général sur la problématique de l'anguille à plusieurs échelles géographiques, de l'échelle du bassin versant à l'échelle nationale (rivière index du plan de gestion national sur l'Anguille) voire européenne (nombreux travaux scientifiques sur l'ensemble du cycle biologique continental de l'espèce).
Le suivi sur le Frémur permet de recueillir des données concernant l'ensemble du cycle biologique dans sa partie continentale de la population d’anguilles (de la colonisation du bassin au départ vers la mer en passant par la phase de croissance dans le bassin). Il permet en effet de mesurer les trois grands compartiments du cycle que sont le recrutement, le stock et la dévalaison, de les mettre en relation, d'évaluer la production de géniteurs par rapport au recrutement, et donc de mieux appréhender la dynamique de la population d’anguilles.
Le site d'étude
Le Frémur est un petit fleuve côtier du nord de la Bretagne (Côtes d’Armor) débouchant dans la Manche à Lancieux. La superficie de son bassin versant est d’environ 60km² pour un linéaire de cours d’eau atteignant près de 45km, dont17 km pour le cours principal. La pente n’est jamais très forte, avec des valeurs moyennes comprises entre 1 et 2 ‰ et 6 ‰ en moyenne. L'anguille doit franchir 4 barrages en 5600 mètres dès l'estuaire du Frémur avant de coloniser le bassin versant. C'est la distance que sépare le barrage de Roche Good, premier obstacle dans l'estuaire, et le barrage de Bois Joli. Trois autres barrages totalement infranchissables lui succèdent. Chacun dispose d'un dispositif de franchissement pour les jeunes anguilles et les barrages de Pont es Omnes et de Bois Joli d'un dispositif de comptage permettant de les dénombrer. |
Télécharger le dernier rapport de suivi des migrations d'anguilles et d'évaluation des stocks en place sur le Frémur en 2022 (Fish-Pass pour le MNHN)
Depuis 2012, le suivi de la migration anadrome est réalisé uniquement sur le piège de Bois Joli, la passe de Pont es Omnès ayant été remise en fonctionnement gravitaire sans piégeage. En 2019, le barrage de Pont Avet en aval de Pont es Omnès a été équipé d’une passe piège temporaire dont le suivi a débuté en mars 2019.
Le recrutement total observé en 2022 à l’amont de Bois Joli est de 32 495 individus dont 25 062 provenant de la passe de Pont Avet et 7 433 de la passe de Bois Joli. Sur les 25 années de suivi de la montaison à l’amont de Bois Joli, la migration 2022 est la troisième en termes d’effectif. Les bons recrutements de 2020, 2021 et 2022 ne peuvent s’expliquer uniquement par la passe provisoire de Pont Avet, le recrutement observé en 2019 étant plutôt faible alors que cette même passe était installée. L’étiage sévère a impacté la fonctionnalité de la passe de Pont es Omnès et indirectement le recrutement observé à Bois-Joli, celle-ci étant un point de passage obligatoire pour les anguilles avant d’arriver à Bois-Joli.
Sur les deux passes de Bois-Joli et de Pont Avet, les migrations ont été précoces. Des pics ont été observés en mars et mai à Pont Avet et en Avril et Mai à Bois Joli. Toutefois, la migration s’est vite essoufflée du fait d’une hydrologie relativement faible dès le mois de juin.
A Pont-Avet, en 2022, la taille moyenne des anguilles est de 72,4 mm pour un minimum de 52 mm et un maximum de 598 mm. La majorité des anguilles mesurent entre 60 et 80 mm. Parmi les plus petits individus, quelques civelles ont notamment été observées au début du suivi. Également, 105 anguilles (>300 mm) ont été échantillonnées à Pont Avet en 2022. Ce nombre est pratiquement trois fois plus faible qu’en 2021 (306 individus), pouvant s’expliquer par une diminution du stock de grandes anguilles en aval grâce à l’installation de cette passe à anguille temporaire.
A Bois Joli, la distribution en classe de tailles au piège de Bois Joli est centrée autour de 120 mm. L’essentiel des individus en migration en 2022 est donc des individus d’au moins un an.
Bilan des montées brutes sur le Frémur de 1997 à 2022 et indice de recrutement européen (WGEEL, 2022). L’indice de recrutement étant pour les civelles, il a été décalé d’une année afin de correspondre au recrutement en anguillettes, pour exemple, l’indice de recrutement de 1997 apparait en 1998 sur ce graphique (FISH PASS). De 2019 à 2022, le recrutement amont de Bois Joli correspond à la somme des anguilles capturées aux passes de Pont Avet et Bois Joli (FISH PASS)
L'état des peuplements piscicoles et de la population d'anguille est évalué chaque année depuis bientôt 20 ans. Le protocole utilisé pour évaluer les densités d'anguilles est un échantillonnage par habitat (lotique ou lentique) en plusieurs passages.
Localisation des stations de pêche électrique prospectées dans le cadre du suivi Frémur (Source : BGM / FishPass)
Le peuplement piscicole du Frémur met en évidence un milieu qui se dégrade depuis le début du suivi avec une diminution des densités des principales espèces. Les problèmes de continuité écologique au niveau du moulin de la Marche et de Motte Olivet contribuent à cette diminution. En 2022, une amélioration des densités pour le gardon et la loche franche a été observée.
La population d’anguilles sur le Frémur présente une tendance à la baisse depuis le début de suivi en 1995 et des niveaux de densités actuellement bas. Toutefois, les bons recrutements observés en 2020 et 2021 ont produit leurs effets sur le bassin versant avec une augmentation des densités notables sur les secteurs de Villou, Trigavou et Motte Olivet. En revanche, sur les secteurs les plus amonts du bassin versant (Ruffier, Trélat), même si les densités apparaissent stables par rapport à 2021, elles demeurent très faibles voire nulle (Ruffier) avec très peu de renouvellement. Sur l’aval du bassin versant, les densités sont fortes et s’expliquent par les bons recrutements 2020 et 2021 d’une part, mais aussi par le contexte des travaux sur le barrage de Pont Avet depuis 2019, qui ont modifiés les habitats en créant des zones plus lotiques et moins profondes permettant une bonne efficacité de pêche et diminué la fonctionnalité de la passe à anguilles (possible accumulation) par l’abaissement du plan d’eau en aval de Pont es Omnès.
Evolution annuelle de la densité et de la biomasse d'anguilles sur le Frémur de 1995 à 2022 (Source : Fishpass pour le MNHN)
Globalement, de 2005 à 2012, le poids moyen des anguilles présentait une tendance à l’augmentation, soulignant ainsi un vieillissement de population. Depuis 2012, la tendance semble s’inverser avec des poids moyens plus faibles, passant de 58g en 2012 à 35g en 2022. Ce constat peut s’expliquer par un rajeunissement de la population d’anguilles, bénéficiant notamment d’un meilleur recrutement naturel. En effet, les recrutements observés en 2020 et en 2021 constituent les deux meilleures années depuis 1997.
Evolution annuelle du poids moyen des anguilles sur le Frémur de 1995 à 2022 (Source : Fishpass pour le MNHN)
Pour la campagne de 2022, 64 % des anguilles capturées ne présentent pas de pathologies externes visibles et 36 % présentent une ou plusieurs pathologies externes. Plus les individus sont grands et âgés, plus ils présentent de pathologies. Environ, 25 % des anguilles présentent une seule pathologie, 10 % ont deux pathologies, 1 % trois pathologies. Les principales pathologies observées sont des érosions cutanées (ER) représentant 52 % des pathologies observées, la maigreur (14 %), les parasites (13 %) et enfin la présence de masses et grosseurs (11 %).
Depuis la première opération de marquage, en 1997, le taux de recapture brut lors des pêches électriques est en moyenne de 22 %. Au cours de la campagne 2022, 174 anguilles ont été marquées lors des pêches d’automne tous secteurs confondus. Concernant les recaptures, 56 anguilles marquées ont été recapturées. Ce nombre de recapture est le deuxième plus important depuis le début du suivi, derrière celui de la première année de marquage.
Sur l’ensemble des anguilles recapturées en 2022, la croissance moyenne annuelle est de 21,5 mm. Cette valeur est relativement proche de celle des campagnes précédentes. Les taux de recaptures annuelles observés dans le piège de dévalaison sont en moyenne de 10 % depuis le début du suivi. Pour la dévalaison 2022/2023, 7 anguilles marquées ont été capturées au stade argenté dans le piège de dévalaison dont l’une avait été marquée en 2008, soit plus de 14 ans plus tard.
Les années de dévalaison sont définies avec des limites allant du 1er septembre de l'année X au 31 août de l'année X+1 (par exemple, l'année 1996 décrit la dévalaison ayant eu lieu entre le 1er septembre 1996 et le 31 août 1997).
Les conditions hydrologiques très sèches de l’automne et de l’hiver 2022 ont fortement retardé la dévalaison des anguilles. De plus, la surverse du barrage a été entrecoupée avec une première surverse de quelques jours fin janvier-début février puis une surverse plus conséquente à partir du 13 mars. Ainsi, la majorité des anguilles dévalantes ont été observées après le 13 mars. Au 31/03, 250 anguilles ont été capturées en dévalaison, respectivement 236 anguilles argentées, 9 anguilles jaunes argentées et 5 anguilles jaunes. Cela correspond à la 22ème/26 dévalaison en termes d’effectifs depuis le début du suivi. Pour la dévalaison 2022/2023, la taille moyenne des mâles est de 373 mm pour un poids moyen de 92g. La taille moyenne des femelles est de 606 mm tout comme le poids moyen avec 420 g. Ainsi, malgré une taille supérieure à la moyenne interannuelle, le poids moyen des anguilles femelle est plus faible que la moyenne.
Concernant les anguilles argentées et jaune/argentées, 56,7 % des anguilles sont des femelles (139) et 43,3 % des mâles (109). Ce taux d’anguilles femelles est plus faible que les années précédentes (hors 2018). Ceci pourrait en partie s’expliquer par mortalité enregistrée à Bois-Joli au niveau du filtre et qui concerne majoritairement les femelles. En termes d’état sanitaire, aucune mortalité n’a été observée à Pont es Omnès pour cette dévalaison 2022-2023 mais la proportion d’anguilles saine est de 18 %. Près de 74% des individus présentent une ou plusieurs pathologies externes (40% avec une seule pathologie). Tout comme les années précédentes, les principales pathologies sont les érosions cutanées, les masses et grosseurs et les hémorragies.
Evolution du nombre d'anguilles vivantes et mortes capturées au piège de Pont-es-Omnès