Le saumon est menacé par l'action de l'homme en Europe et en Amérique du Nord. Du fait du "homing", à chaque cours d'eau est associé une population autonome, qui cosntitue ainsi naturellement une unité de gestion.

Les grands principes de gestion du saumon atlantique

A l'échelle internationale

L'Organisation pour la Conservation du Saumon de l'Atlantique Nord (OCSAN) recommande une gestion des populations basée sur un point de référence biologique appelé limite de conservation (LC). Cette limite représente un niveauu seuil de reproducteurs en-dessous duquel la conservation d'une population est considérée comme menacée.

Pour en savoir plus sur le statut de protection et la gestion de la pêche du saumon à l’étranger : 

THOMAS O., 2021.THOMAS O., 2021. Statut de protection des salmonidés migrateurs et gestion de la pêche à l’étranger - état des lieux et synthèse. Bretagne Grands Migrateurs, Salmo Normandy. 24 pages.

Cette étude, de 2021 commandée par Bretagne Grands Migrateurs et confiée à l’association Salmo Normandy, réalise une analyse comparative des différents statuts de protection du saumon et différents modèles de gestion de la pêche mis en œuvre à l’étranger. Sans prétention à l’exhaustivité, elle propose d’apporter des éléments de réflexion pour nourrir le débat et contribuer ainsi à l’émergence d’une stratégie régionale concernant l’exercice de la pêche de loisir du saumon atlantique.

A l'échelle nationale

Les mesures de gestion des populations appliquées au saumon atlantique sont définies à une échelle nationale. En France, elles sont élaborées par les COmités de GEstion des POissons MIgrateurs (COGEPOMIs) via les plans de gestion quinquennaux (PLAGEPOMIs) incluant les mesures de régulation de l'exploitation. Ces derniers doivent être conformes au plan de mise en oeuvre national des recommandations OCSAN, remis à jour tous les 6 ans.

A l'échelle de la Bretagne

La Bretagne est la région de France qui héberge le plus de populations de saumon atlantique (environ 25 rivières à saumon).

Depuis 1996, la régulation de l'exploitation repose sur la fixation conjointe d'une LC et d'un excédent prélevable pour chaque rivière. Ce dernier sert ensuite à dimensionner chaque année pour chaque rivière un Total Admissible de Capture (TAC). Le TAC correspond au nombre de reproducteurs potentiellement présents dans chaque population après avoir préservé la LC. Une période d'autorisation de la pêche encadre également l'exploitation. Si le TAC est atteint au cours de cette période, les autorités locales ferment la pêche de façon anticipée.

En Bretagne, une stratégie de gestion sans équivalent...

La mise en place d'un système de régulation en Bretagne a constitué une avancée très significative et pionnière dans le domaine de la gestion des populations de saumons en France. Il présente cependant certains défauts :

  1. Il focalise le débat entre les acteurs de la gestion sur l'exploitation (le dimensionnement des TAC) alors que l'OCSAN met clairement la priorité sur  la conservation.
  2. Il repose sur la définition de LC recommandée par l'OCSAN, qui est source d'ambiguïté voire de confusion.

...possédant cependant des points faibles

Cette définition fixe la LC à la quantité de reproducteurs permettant de maximiser en retour les captures potentielles, en moyenne sur le long terme. On admet aussi implicitement qur toute population peut supporter une exploitation durable, et que la maximisation de cette dernière vaut respect de la conservation. Mais par ailleurs, considérant que l'exploitation peut entrer en contradiction avec la conservation, l'OCSAN recommande de subordonner l'exploitation au respect de la conservation. Pour lever cette confusion, il convient de séparer maximisation d'une exploitation durable et respect de la conservation. Pour cela, il est proposé de revoir la définition des LC indépendamment de tout critère d'exploitation.

D'autres recommandations émises par l'OCSAN pourraient être mieux prises en compte qu'elles ne le sont dans le système de régulation de l'exploitation actuellement en vigueur en Bretagne :

  1. L'OCSAN recommande d'intégrer les incertitudes alors qu'elles sont pour l'essentiel ignorées dans la pratique actuelle de la gestion des populations bretonnes.
  2. L'OCSAN préconise que l'établissement des LC se fonde de préférence sur des données propres à chaque rivière. C'est déjà le cas pour les LC actuelles des populations bretonnes mais elles sont basées sur des données provenant principalement d'une rivière de référence, le Scorff, et l'ajustement aux spécificités de chaque rivière peut être amélioré.

La rénovation de la stratégie de gestion du saumon en Bretagne

Réunis au sein du pôle R&D sur les poissons migrateurs, l'AFB, l'INRA et l'UPPA ont décidé d'oeuvrer conjointement dans le cadre du projet RENOSAUM (Rénovation de la stratégie de gestion du saumon en Bretagne) pour définir de nouvelles LC pour les populations de saumon bretonnes. Le projet est mené en concertation avec les gestionnaires et les pêcheurs dans le cadre de groupes techniques du COGEPOMI. L'avanvement du projet est suivi par un comité réunissant l'INRA, l'AFB, BGM et Agrocampus-Rennes.

organigramme RENOSAUM

Le projet RENOSAUM se décline en 2 phases de travail :

Phase 1 : la définition des limites de conservation pour le saumon en Bretagne

Une définition simple : éviter les faibles recrutements

En cohérence avec les recommandations de l'OCSAN, les nouvelles LC proposées reposent sur une définition simple de la conservation : éviter les faibles recrutements.

Sachant que le recrutement varie fortement et aléatoirement, même en contrôlant le nombre de reproducteurs, un événement de faible recrutement peut toujours survenir. Les nouvelles LC seraient donc définies comme le nombre de géniteurs qui permet de maîtriser le risque d'un faible recrutement.

Cadre théorique

La mise en oeuvre pratique de cette nouvelle définition requiert tout d'abord de préciser la notion de faible recrutement. On propose de le faire en référence à la capacité d'accueil en juvéniles de saumons (tacons). Cette dernière représente le nombre moyen de tacons que pourrait au maximum produire un cours d'eau si le nombre de reproducteurs n'était jamais limitant (toujours très grand).

Il faut ensuite répondre à 2 questions :

  • A quelle proportion de la capacité d'accueil correspond un faible recrutement (75%, 50%, 25%, ...) ?

 faible recrutement

  • Quel niveau de risque (probabilité d'un événement annuel de faible recrutement) souhaite-t-on maîtriser (15%, 25%, 40%,...) ?

risque

A titre d'illustration , une LC reposant sur un choix de 50% de la capacité d'accueil avec un risque de 25% correspond au nombre de reproducteurs nécessaire pour s'assurer qu'un recrutement en tacons inférieur à la moitié de la capacité d'accueil se produit seulement une année sur quatre.

Ce cadre théorique a été appliqué aux 18 principales populations bretonnes de saumon atlantique à partir de l'ensemble des données disponibles relatives au stock reproducteur (captures, retours d'adultes si disponible) et au recrutement (indice d'abondance de juvéniles de l'année). Le stock est exprimé en quantité d'oeufs potentiellement pondus par les femelles et le recrutement en effectif de juvéniles de l'année. Pour faciliter la comparaison entre les rivières indépendamment de leur taille, les séries de stocks et de recrutement ont été standardisées pour chaque rivière par la surface en eau colonisable par le saumon et favorable à la production de juvéniles (exprimées en densité par unité de surface).

Le traitement statistique de ces données permet de prédire le recrutement en fonction du stock en prenant en compte les principales sources d'incertitudes (liées à l'estimation du stock et du recrutement, à la fluctuation aléatoire du recrutement et à l'étendue limitée dans le temps des séries de données disponibles). A partir de ces prédictions, on peut calculer, pour chaque rivière et pour un niveau de faible recrutement préalablement choisi, le risque de faible recrutement en fonction du stock reproducteur. A partir de ce calcul il est aisé de déterminé une LC correspondant à un niveau de risque fixé.

Application risque

Les résultats obtenus lors de la première phase du projet RENOSAUM sont synthétisés dans un document qui présente une analyse rivière par rivière des captures de saumon, des taux d'exploitation et retours d'adultes, de la densité de tacons 0+ (recrutement) ainsi que la relation stock-recrutement, le diagramme de risque associé et la comparaison des échappements reproducteurs et de retours avec les limites de conservation.

Télécharger la version longue de cette note de synthèse

Application à la Bretagne

En juin 2019, le COGEPOMI a validé la définition de nouvelles limites de conservation du saumon qui reposent sur une définition simple de la conservation : limiter le risque de faibles recrutements en juvéniles de saumon. Sachant que le recrutement varie fortement et aléatoirement, même en contrôlant le nombre de reproducteurs, un événement de faible recrutement peut toujours survenir. Ainsi, les nouvelles limites de conservation sont définies comme le nombre de reproducteurs qui permet de maîtriser le risque d'un faible recrutement.

En accord avec les recommandations internationales de l’Organisation pour la Conservation du Saumon de l’Atlantique Nord (OCSAN), cette nouvelle définition :

  • prend en compte le contrôle d’un risque, celui de produire de faibles recrutements,
  • donne la priorité à la conservation de l’espèce et non plus à la maximisation des prélèvements (comme dans la gestion actuelle par TAC).

Pour les rivières bretonnes, le COGEPOMI Bretagne a retenu la définition opérationnelle de la conservation suivante :

« Ne pas risquer d’être en dessous de la moitié de la capacité d'accueil plus d'1 année sur 4 ».

NB : La capacité d’accueil correspond à la production de juvéniles que l’on pourrait obtenir en moyenne si le nombre de géniteurs n’était jamais limitant (toujours très grand).

Exception faite sur le Léguer et l’Elorn où une ambition complémentaire est ciblée : « Ne pas risquer d’être en dessous de 75 % de la capacité d'accueil plus de 2 années sur 5 ». Sur le Blavet et l’Aulne, rivières canalisées, une réflexion complémentaire sera à mener.

Phase 2 :Définition d’un nouveau modèle de gestion (2020-2022)

Dans un optique de gestion donnant la priorité à la conservation, il convient de limiter l’exploitation. 3 options de régulation de l’exploitation par pêche du saumon sont identifiées :

  • Limiter les prélèvements en-dessous d’une quantité fixe chaque année (dispositif actuel avec une gestion par TAC chaque année et une fermeture de la pêche si le TAC est atteint)

système appliqué en France (Bretagne / Normandie), Norvège, Finlande et Irlande

  • Limiter le taux d’exploitation en-dessous d’un niveau fixe chaque année :

Dans ce cas, la fermeture de la pêche peut être calée en fonction du rythme de remontée des adultes pour s’assurer qu’une certaine proportion de la population échappe aux prélèvements. Cette option nécessite de déterminer le rythme de remontée ce qui peut être fait à partir des données aux stations de comptage existantes (Aulne, Elorn et Scorff).

Exemple : Ne pas prélever plus de 15 % des adultes qui remontent la rivière

Système appliqué pour le saumon du Pacifique

  • Assurer un échappement reproducteur au-dessus d’un niveau minimum chaque année :Dans ce cas, la pêche n’est ouverte que si la limite d’échappement est dépassée. Les années où les retours sont inférieurs à la limite d’échappement reproducteur, la pêche est interdite. Cette option ne peut être mise en œuvre efficacement que sur les rivières possédant des stations de comptage (Aulne, Elorn et Scorff) car elle nécessite de suivre en continu les retours d’adultes pour caler la date d’ouverture.

Exemple : S’assurer qu’au moins 150 reproducteurs sont remontés dans la rivière avant d’exploiter

Système préconisé par le CIEM (Conseil International pour l’Exploration de la Mer)

A titre de première illustration, 2 scénarios par option de régulation ont été testés par l’INRAe :

  • Scénario pro-conservation : On ne peut pas exploiter plus que ce que l’on exploite en moyenne depuis 10 ans

Exemple : Pour l’option de régulation « limiter les prélèvements », le TAC est fixé aux prélèvements moyens observés ces 10 dernières années (un TAC castillon et un TAC saumon de printemps).

  • Scénario à exploitation plus intense : On ne peut pas exploiter plus de 3 fois ce que l’on exploite en moyenne depuis 10 ans

Exemple : Pour l’option de régulation « limiter les prélèvements », le TAC est fixé à trois fois les prélèvements moyens observés ces 10 dernières années (un TAC castillon et un TAC saumon de printemps).

Ces 6 scénarios (3 options de régulation x 2 scénarios) ont été comparés à 3 scénarios de référence :

  • Scénario sans pêche
  • Mode de gestion actuel (limitation des prélèvements aux TAC actuels dans les conditions actuelles d’intensité de l’exploitation)
  • On exploite 3 fois plus intensément qu’avec le mode de gestion actuel

Ces 9 scénarios sont évalués à l’aide de critères de performances relatifs à :

  • La conservation : Un seul critère a été choisi, le risque de produire de faibles recrutements en conformité avec la définition de la conservation retenue par le COGEPOMI.
  • L’exploitation : 4 critères de performances ont été définis, à savoir, les prélèvements moyens de castillons et de saumons de printemps et la probabilité de capturer 3 fois moins de castillons et de saumons de printemps que ces 10 dernières années.

Les simulations réalisées suivant les scénarios définis ci-dessus permettent de distinguer 3 groupes de rivières :

  • Le groupe « Penzé / Goyen / Ellé / Scorff / Léguer** / Elorn** » pour lequel la conservation est toujours respectée pour chacun des scénarios testés.
  • Le groupe « Couesnon / Douron / Aven / Blavet* » pour lequel le respect de la conservation dépend du scénario considéré.
  • Le groupe « Odet / Aulne* / Mignonne-Camfrout-Le Faou / Queffleuth / Yar / Jaudy / Trieux / Leff » qui ne respecte jamais la conservation pour aucun des scénarios testés.

* : Une réflexion particulière sera à mener sur les rivières canalisées de l’Aulne et du Blavet ; ni la conservation ni les limites n’ont été définies. Pour autant, dans le cadre de cet exercice, la définition de la conservation utilisée est la même pour toutes les rivières à savoir, « ne pas risquer d’être en dessous de la moitié de la capacité d’accueil plus d’1 année sur 4 ».

** : Le Léguer et de l’Elorn n’atteignent cependant pas actuellement la cible plus ambitieuse retenue par le COGEPOMI « Ne pas risquer d’être en dessous de 75 % de la capacité d'accueil plus de 2 années sur 5 » et ce quel que soit le scénario testé.

Calendrier

À partir de ces exemples, qui n’ont à ce stade qu’une vocation illustrative de la démarche de travail mise en œuvre, une phase de concertation va être menée à partir de mars à mai 2022 auprès des instances de la pêche pour se positionner par rapport aux différentes options de régulation, en particulier en termes d’acceptabilité et de mise en œuvre. Des nouveaux scénarios de gestion pourront également être proposés.

Suite à la phase de concertation, les propositions remontées par les structures de la pêche seront testées par l'INRAe. Les résultats de ces nouvelles simulations seront présentés et discutées pendant le 2nd semestre 2022 au sein du COGEPOMI en vue de définir et valider un nouveau modèle de gestion du saumon en Bretagne à appliquer à partir de 2023.

Le présent article a été rédigée à partir d'une note écrite par BGM, en collaboration avec l'INRAe, suite à la réunion du groupe de travail SAUMON du COGEPOMI de cours d'eau bretons. Elle présente l'avancée du projet à la date du 14 février 2020 et les prochaines étapes à venir.

Le contenu de cet article n'est pas un document officiel du COGEPOMI.