Les lamproies marines (Petromyzon marinus Linné, 1758) ne sont pas des poissons mais des agnathes. Elles sont de la famille des Petromizontidae, seule famille de l'ordre des Petromizontiformes dans la classe des Cephalaspidomorphi. Elles représentent le niveau le plus primitif des vertébrés et sont caractérisées par l'absence de mâchoire articulée. Leur peau marbrée est dépourvue d'écailles et sécrète du mucus.Leur corps anguilliforme présente une ou deux nageoires dorsales. Elles ne possèdent pas de nageoires paires.

A la différence des poissons, les lamproies n'ont pas de mâchoire mais un disque buccal rond adapté à la succion. Elles possèdent 7 pores branchiaux alignés sur les côtés de la tête. L'unique nasopore central situé au-dessus de la tête a un rôle olfactif.

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Les lamproies marines (genre Petromizon) migrent toutes en mer pour leur croissance et reviennent en eau douce pour se reproduire. Il s'agit de migrateurs amphihalins potamotoques qui réalisent leur migration anadrome de reproduction au début de l'été.

LPM cycle de vie

La remontée des géniteurs en eau douce

La lamproie marine séjourne de 1 à 2 ans en mer sur le dos d’un poisson (ou d’un cétacé !) avant de remonter les fleuves au printemps pour s’y reproduire… 

La remontée en eau douce des géniteurs de lamproie marine se déroule de nuit de janvier à mai. Elle est déclenchée par des facteurs internes comme la perte de capacité d’osmorégulation et des facteurs externes tels qu'une augmentation de la température de l'eau et/ou une augmentation du débit.

Les lamproies ne semblent pas être soumises au phénomène de « homing ». Elles sont attirées grâce à leur système olfactif préférentiellement vers les cours d’eau abritant une population d’ammocètes. Elles seraient attirées par des phéromones présentes dans la bile des larves (Carry L., Filloux D., Menchi O., Gracia Q., 2020. Suivi de la lamproie marine sur le bassin de la Dordogne et de la Garonne. MIGADO. 28 p + annexes) et/ou une très forte concentration de fer dégagée par les larves (Taverny C., Elie P., 2010. Les lamproies en Europe de l'Ouest, écophase et habitats. Cemagref, Quae éditions, Paris, 111 p). De même, les mâles, arrivant les premiers sur les zones de ponte, attirent les femelles, probablement par la libération de phéromones dans le milieu environnant (Les lamproies. Site internet de l’association MIGRADOUR).

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Première lamproie observée au vidéocomptage de Châteaulin en 2023 (Région Bretagne)

La migration anadrome des lamproies marines se caractérise par une forte régularité des dates de début et de fin de remontée. D’ailleurs, des travaux récents ont mis en évidence, à partir de l’analyse des données de 40 stations localisées dans 28 cours d’eau en France, une très légère avancée des dates de migration des lamproies en eau douce : 0,2 jour en moyenne tous les 10 ans (Legrand M., Briand C., Buisson L., Besse T., Artur G., Azam D., Baisez A., Barracou D., Bourré N., Carry L., Caudal A.-L., Corre J., Croguennec E., Der Mikaélian S., Josset Q., Le Gurun L., Schaeffer F., Toussaint R., Lafaille P. 2020. Diadromous fish modified timing of upstream migration over the last 30 years in France. Freshwater biology, volume 66, issue 2 : pages 286-302).

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Comparaison des périodes de passages des lamproies marines aux stations de comptage en Bretagne depuis la mise en place des suivis (Région Bretagne, Eaux & Vilaine)

La reproduction des lamproies marines

Une zone de frayère à lamproie marine peur se décrire comme étant des « zones de substrat grossier, de préférence situées dans des zones d’accélération de courant ou l’écoulement de l’eau est unidirectionnel et adapté à la capacité de nage des lamproies adultes » (Taverny et Elie, 2006. Les lamproies en Europe de l'Ouest : Écophases, espèces et habitats. Editions QUAE. 112 pages). 2 paramètres semblent essentiels pour caractériser une zone de fraie :

  • La granulométrie : les lamproies marines affectionnent les éléments grossiers, plus particulièrement les cailloux graveleux accompagnés parfois de blocs. La proportion de graviers, sables et vase reste très faible, les géniteurs évitant les zones colmatées.
  • L’écoulement : elles privilégient la partie haute des faciès courants, immédiatement en amont des zones de turbulences repérables à la surface de l’eau. La vitesse de courant se situe en moyenne entre 0,5 et 0,9m/s.
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Malheureusement, le premier critère de choix reste l’accessibilité aux zones de frayères dès l’aval des cours d’eau. La présence d’obstacles physiques - voire physico-chimiques - peut induire des difficultés d’accès aux sites de premier choix et oblige les géniteurs à se reproduire dans des zones très différentes à l'aval des barrages. Il s'agit alors de frayères forcées qui ne garantissent pas le succès de la reproduction...

A partir de mai, les mâles de lamproies marines entament avant l’arrivée des femelles la construction du nid, en forme de cuvette, et de son dôme. Ils se ventousent à l’aide de leur disque buccal sur les pierres et les cailloux, les délogent par des vibrations dues aux mouvements saccadés de leur corps et se laissent légèrement dériver à l’aval par le courant pour les déposer et former le dôme.

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© S.Barrio

Les accouplements sont multiples et ritualisés. Le mâle, reconnaissable à son bourrelet dorsal, se fixe sur la tête de la femelle qui est elle-même ventousée à une pierre sur le bord amont du lit. Il s’enroule autour du corps de la femelle pour lui masser les flancs afin d’inciter l’expulsion des œufs, qu’il fécondera, avant que ceux-ci, adhésifs, viennent se fixer dans le dôme. Ce comportement se répète sur plusieurs jours avant la mort de tous les géniteurs sans exception.

Pour découvrir la vie intime des lamproies marines, visionner cette vidéo d’Yvon Le Bars (2015) : https://vimeo.com/128802095

Un développement des juvéniles enfoui dans le sable

Dans les secondes qui suivent la ponte, les œufs de lamproies marines, adhésifs, tombent au fond du nid et s’insinuent dans les interstices du sédiment. 2 semaines plus tard, les œufs éclosent.

Les pré-larves se nourrissent sur leur réserve vitelline : au moment de l’éclosion, les larves mesurent entre 3 et 5 mm ; à l’émergence au bout de 5 à 6 semaines, elles atteignent 10 mm et quittent le nid pour s’enfouir dans les sédiments à l’aval, afin d’y poursuivre leur croissance… La phase embryonnaire - de l’œuf à l’émergence des larves - chez la lamproie marine se déroule entre mai et août et dure environ 40 jours (si la température de l’eau est de 18°C).

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Zones favorables à la croissance des ammocètes (Source : E. Lasne)

 Les larves, maintenant appelées ammocètes, n’ont pas de disque buccal, d’yeux et de nageoires. Elles vivent enfouies - en laissant dépasser leur bouche - dans un substrat composé de couches superposées de végétation en décomposition dans des sédiments fin sableux entre une dizaine et une vingtaine de centimètres de profondeur. Ces zones optimales se situent au niveau de zones à courant lent permettant le dépôt des particules dont ils se nourrissent en filtrant l’eau de manière sélective (algues, détritus organiques ou bactéries). Le  La croissance des ammocètes dure entre 4 et 7 ans. Elle dépend classiquement de l’abondance de la nourriture et de la température de l’eau. A la fin de leur vie larvaire, les lamproies cessent de croître et commencent à accumuler des lipides dans leurs tissus. La différenciation sexuelle, qui n’est généralement pas complète chez les ammocètes avant la métamorphose, est influencée par les paramètres environnementaux et l’abondance de larves.

La phase embryo-larvaire est chez la lamproie marine une phase critique, particulièrement au moment de l’émergence lorsque les larves quittent le nid pour coloniser des habitats propices en aval. Les ammocètes ont de nombreux prédateurs : anguilles, vairons, perches, chabots mais aussi certains oiseaux comme les hérons. Leur mode de vie les rend par ailleurs sensibles aux pollutions et aux assecs.

Lorsque les larves atteindront une taille supérieure à 120 mm, certaines débuteront à partir de juillet leur métamorphose avant de rejoindre la mer… mais ceci est une autre histoire !

En route vers la mer !

A l’heure de migrer vers la mer, l’ammocète de lamproie marine doit s’adapter pour sa future vie en mer. Ce processus, appelé smoltification, lui permet ainsi d’acquérir les capacités pour vivre dans le milieu marin.

A partir de juillet, c'est une véritable transformation qui s'opère chez la jeune lamproie ! Elle va ainsi acquérir petit à petit les caractères d’un adulte : apparition des yeux, formation du disque buccal, modification de la couleur de la peau, différenciation et développement des nageoires, et individualisation des pores branchiaux. En plus des transformations morpho-atomiques, elle connait une réorganisation des systèmes digestif, respiratoire, hépatique, rénal et nerveux.

La métamorphose de la lamproie marine débute spontanément sous l’impulsion d’une hausse de la température de l’eau lorsque l’individu a atteint de hauts niveaux de réserve lipidique. D’après les observations sur le terrain, elle doit réunir ainsi 3 conditions morphométriques : une longueur totale supérieure à 120 mm,  un poids supérieur ou égal à 3 g et un facteur de condition supérieur ou égal à 1,5. Les ammocètes en cours de métamorphose se déplacent alors très peu. Elles stationnent sous les litières organiques, parmi les racines, au niveau des sous-berges…, en majorité dans les parties aval des cours d’eau.

La smoltification a transformé la jeune lamproie en smolt, apte à s’adapter, croître et survivre en mer. A la faveur d’une augmentation du débit, il s’ensuit dès la fin de l’été ou au début du printemps suivant une migration d’avalaison jusqu’à la mer (Taverny C., Elie P., 2006. Les lamproies en Europe de l’Ouest : écophases, espèces et habitats. Editions Quae. 111 pages). 

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La croissance des adultes en mer

A l’approche de l’hiver, si elle franchit victorieusement tous les obstacles qu’elle rencontre jusqu’à la mer, la jeune lamproie marine parvient en mer. Commence alors un voyage à dos de poisson !

La distribution des lamproies marines dépend entièrement de leur hôte. Elles vivent ainsi en mer sur le plateau continental, les habitats côtiers ne constituant a priori que des zones de passage pour les lamproies marines. Elles peuvent atteindre des zones jusqu’à 4000 mètres de profondeur !

Une étude génétique de la population de lamproies marines de l’ouest de la France a montré qu’elles n’étaient pas structurées génétiquement, suggérant que les flux de gènes entre populations sont importants y compris entre populations de l'arc Atlantique et la Manche.Cela sous-tend l'hypothèse d'une dispersion marine importante et l'absence de homing (Acou A, Lasne E., Réveillac E., Robinet T., Feunteun E., 2013. Programme de connaissance Natura2000 en mer : les habitats marins des espèces amphihalines. Evaluation de la cohérence du réseau Natura2000 en mer pour la grande alose (Alosa alosa), l'alose feinte (A. fallax sp.), la lamproie marine (Petromyzon marinus) et la lamproie fluviatile (Lampetra fluviatilis). Rapport scientifique préliminaire du MNHN, Stations marines de Dinard et Concarneau. 154 pages + annexes. DOI - 10.13140/RG.2.1.1841.1921). ‍

Un mode de vie "vampirique"

La croissance de mer des lamproies marines est rapide et dure probablement entre 1 et 2 ans, pendant lesquels elles vivent fixées à un hôte grâce à leur disque buccal. Véritable ventouse, il est composé de nombreuses dents cornées et pointues disposées en rangées concentriques et adapté à la succion.

Cette bouche permet aux lamproies marines de parasiter diverses espèces de poissons et de mammifères marins : aloses, harengs, lieus, maquereaux, plats divers, saumons, mulets, requins, baleines, dauphins… Toutefois, elles privilégient les hôtes de plus grande taille à mesure qu’elles grandissent et pélagiques qui réalisent de grands déplacements en milieu océanique. (1)

Ce mode de vie parasitaire leur assure ainsi le transport mais aussi l’alimentation car elles se nourrissent de la chair de leur poisson hôte.

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© Laurent Colombet

 La phase marine des lamproies marines reste en grande partie une boîte noire ! Mais tout comme les autres poissons migrateurs amphihalins, la lamproie marine doit faire face à des conditions de vie en mer très difficiles, qui aujourd’hui, tendent à se dégrader avec les changements climatiques. Les projections prévoient une régression de sa présence dans les bassins à l’est de la mer Adriatique, en Italie et dans la péninsule Ibérique, tandis que les bassins islandais pourraient devenir favorables (André G., Guillerme N., Sauvadet C., Diouach O., Chapon P.-M., Beaulaton L., 2018. Synthèse sur la répartition des Lamproies et des Aloses amphihalines en France. pôle AFB-Inra Gest’Aqua.).

Télécharger la fiche complète de description de la lamproie lamproie marine (S. Colin, 2010)

Lire l'article sur le programme Amphihalins Natura 2000 en mer (actualité septembre 2016)


Pour aller plus loin...

"Les Lamproies en Europe de l'Ouest, écophases, espèces et habitats"

Catherine Taverny et Pierre Élie

Éditions Quæ (ISBN 978-2-7592-0378-9 / ISSN 1952-2770)